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CHRONIQUE DE LA RADIOVISION

Première émission officielle de télévision en France
26 Avril 1935
 

Extrait de l'article de Paul Berché. Journal l'Antenne n°632, 5 mai 1935

UNE INAUGURATION.

Vendredi 26 avril entre 20h15 et 20h30, il était bien difficile de franchir le seuil du 103 de la rue de Grenelle. Nombreux étaient, en effet, les candidats resquilleurs au spectacle sensationel qui se préparait dans le ministère: la première émission officielle française de télévision.

J'eus, bien que convoqué par un coup de téléphone du cabinet du ministre, toutes les peines du monde à pénétrer dans le sanctuaire et, sans mon ami Ponchon, vieil habitué de la maison, qui fit ouvrir deux barages devant moi, je serais resté sur le trottoir de la rue de Grenelle, à contempler les murs derrière lesquels il se passait quelque chose...

Je ne fus pas le seul <<invité>> à avoir éprouvé quelques difficultés à répondre à l'<<invitation>> qui lui avait été faite. Certaines protestations vigoureuses et pitoresques de quelques photographes, m'incitent à penser que pareille mésaventure n'advint pas qu'à moi.

Mais l'accueil que voulu bien me réserver M. Barthélemy , le héros de la journée, me fit vite oublier ces incidents dûs à un évident défaut d'organisation. M. Barthélemy est un vieil ami de l'Antenne et tout mes lecteurs savent que ce sont ses procédés et ses appareils qui sont utilisés par les P.T.T. pour les émissions de télévision décidées par M. Mandel.

Après m'avoir laissé regarder successivement Mlle Béatrice Bretty sourire de ses lèvres noircies, pour satisfaire aux exigences de la cellule photo-électrique, devant le dispositif d'exploration, et ce même sourire se reproduire sur l'écran du tube cathodique du récepteur de contrôle, M. Barthélemy me conduisit, faveur insigne, dans la pièce où était monté le poste émetteur de télévision proprement dit.

Quelques grands meubles à panneaux de bakélite, enfermés dans une immense cage de faraday en treillis de cuivre, constituaient l'ensemble émetteur chargé de créer dans l'antenne le courant modulé de 4 ampères de large bande, sur lequel on compte actuellement pour diffuser, dans un rayon de 100 kilomètres, les images animées sur l'onde de 175 mètres.

L'image obtenue au récepteur de contrôle était remarquablement nette, bien que l'exploration ne soit que de 60 lignes. Je rappelle à ce sujet que le Comité anglais de télévision, dans un rapport récent, a précisé que 240 lignes étaient nécessaires pour une reproduction parfaite.

 Mais les premiers essais officiels de M. Barthélemy prouvent qu'une définition aussi élevée n'est pas indispensable pour transmettre quelque chose qui soit digne d'être regardé. Incessamment, peut-être même qu'au moment où paraîtront ces lignes, ce sera chose faite, on tentera la transmission de scènes à plusieurs personnages et en particulier la transmission de danses.

Les girls trépidantes et photogéniques vont-elles s'emparer du sévère ministère de M. Mandel? D'ici trois mois, la définition sera poussée à 180 lignes.

Je félicite très vivement et très sincèrement M. Barthélemy de sa réalisation d'autant qu'elle s'est effectuée dans des conditions de rapidité véritablement stupéfiantes. Jugez-en. L'installation fut décidée le 16 avril et une salle de conférence de L'Ecole Supérieure des P.T.T. est mise sur l'heure à la disposition de M. Barthélemy. M. Mandel prend de rapides décisions et aime qu'elles soient exécutées sur le même rythme.

Le 17, les gradins de l'amphitéatre sont enlevés et le futur studio est pris d'assaut par les maçons, les menuisiers et les électriciens. Le même jour, dans une salle voisine hâtivement débarassée, commence à s'élever le bâti de l'émetteur 500 watts - 175 mètres - qui est fourni par la puissante Compagnie des Compteurs de Montrouge.

Le 20, la plupart des appareils sont en place. Le dimanche et le lundi de Pâques sont employés à effectuer les premiers réglages. Les jours suivants, jusqu'au 25, on termine le revêtement <<acoustique>> du studio, la pose des câbles. Le vendredi 26, on transmettait par radio la première scène officiellement télévisée dans ce nouveau studio.

Cette rapidité d'exécution fait autant d'honneur au personnel qu'au matériel: on peut dire que , dès maintenant la télévision est sortie du domaine du laboratoire. Aussi ne serez-vous pas étonnés d'apprendre que, vendredi soir, M. Barthélemy me confiait qu'il se sentait un peu fatigué.

Mais je suis sûr que la consécration officielle de ses longues recherches, a récompensé largement le grand maître de la Télévision Française de ses peines récentes ou lointaines et l'a encouragé à ne pas ménager ses peines futures, ainsi qu'il en a , croyez-le bien, la ferme intention.

Que doit-on penser de ces premières émissions? On s'est déjà élevé contre le choix de la longueur d'onde et celui de la trame d'analyse, mais il ne faut voir là, sans aucun doute, que de simples critiques intéressées.

On peut, en effet, répondre victorieusement à ces objections, que l'appareillage de réception pour 60 lignes est assez simple, que la portée des ondes de 175 mètres est beaucoup plus élevée que celle des ondes de 7 mètres utilisées en Allemagne et qui entrent dans la catégorie des ondes quasi lumineuses, que la qualité véritable des scènes à 60 lignes est inconnue de la plupart de ceux qui les désapprouvent, enfin que ce genre d'émission destiné à un début et à des spectateurs relativement éloignés, n'empêche pas l'émission simultanée à haute définition sur ondes très courtes.

Et maintenant, mes chers lecteurs, vous n'avez plus qu'à <<voir>> après avoir si longtemps seulement <<entendu>>.

Paul BERCHE.
L'Antenne, 5 mai 1935. EXTRAIT IN EXTENSO.

REMARQUE :
Les émissions en 60 lignes n'ont en fait été reçues que sur un nombre très restreint de récepteurs (une vingtaine en tout?), les téléviseurs n'étant pas, à l'époque, fabriqués au niveau industriel. Il s'agissait le plus souvent de montages d'amateurs réalisés à partir de "kits" spécialisés.


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